observatoire des sondages

Cour des Comptes, Cour de cassation et Conseil d’Etat : Une vigilance mise à mal ?

A quoi sert la commission des sondages ? (3)

vendredi 19 juin 2009

Les sondages en ligne suscitent des critiques plus ou moins véhémentes : malgré leur retenue professionnelle, les sondeurs attachés au procédé classique du sondage en face-à-face ou au téléphone rejettent la technique et la concurrence : baisse des prix mais baisse de la fiabilité dénoncent-ils. Les professionnels du marketing préviennent qu’il reste des progrès à faire. Un article d’Esomar constatant que 54 % des sondés en ligne admettaient mentir en tirait cette conclusion qu’il fallait encore améliorer la technique [1]. Quant aux scientifiques, leurs critiques sont beaucoup plus sévères sur la composition des échantillons, en fait spontanés puis traités selon les principes de redressement, les effets d’élection qu’entraînent le recours à des panels, pour ne mentionner que les plus élémentaires et en attendant une prochaine analyse de l’observatoire des sondages. Il est donc d’autant plus intéressant de découvrir comment la commission des sondages a résolu le problème posé par l’apparition des sondages en ligne. Dans un sens favorable, faut-il ajouter.

Une première mention des sondages en ligne intervient dans le rapport 2001 de la commission des sondages sur les élections municipales. Le titre même de la partie du rapport - « le développement des « vrais-faux »sondages et des enquêtes internet - indique suffisamment un rejet, accompagné d’une mise en garde : « il s’agit d’enquêtes qui risquent d’être considérées comme des sondages alors que leurs conditions de réalisation ne permettent pas d’assurer ni la représentativité des personnes interrogées ni la qualité et la sincérité des résultats obtenus ». Dans son rapport sur l’élection présidentielle de 2002, la commission est moins sévère mais tout aussi nette : de telles « enquêtes ne constituent pas un sondage relevant de la compétence de la commission, aux termes de la loi du 19 juillet 1977 ». Avec le référendum de 2005, la commission relève que « la constitution de panels d’internautes pose un problème de représentativité des échantillons qui sont susceptibles d’être affectés de biais générationnels, culturels et géographiques ». Pourtant son attitude change radicalement lorsqu’elle différencie deux cas parus dans la presse gratuite, l’un appelant des observations, l’autre non. A partir d’un cas pratique, elle tranchait implicitement en faveur de la reconnaissance des sondages en ligne moyennant quelques impératifs : « il serait souhaitable d’obtenir des organes qui en organisent la réalisation qu’ils respectent spontanément les obligations découlant de la loi ».

En faisant une distinction entre échantillons non représentatifs et représentatifs, le rapport sur les élections présidentielle et législatives de 2007 consacrait la reconnaissance de ces sondages qui relevaient donc de la loi de 1977. Seule précaution, la commission demandait que les biais spécifiques soient mentionnés. Comment cette décision a-t-elle été prise ? Sa mention allusive laisse perplexe. Il n’est fait aucune référence à une expertise. Des scientifiques ont-ils été interrogés ? Ont-ils rendu un avis motivé ? On peut imaginer que les sondeurs en ligne ne soient pas restés inactifs pour obtenir cette caution officielle. Or si les anciens instituts de sondages se dotaient des moyens de questionnement en ligne, ils les utilisaient pour leurs études de marketing et non pour des enquêtes électorales. Seul Opinionway s’était lancé dans ce type de sondage en ligne. Toutefois, quel que soit le rôle de cette entreprise dans l’évolution de la commission des sondages, celle-ci n’a pu qu’être sensible à l’idée d’une fatalité. Dans son rapport de 2005, elle prend acte du développement des sondages en ligne, « ce type d’enquête étant vraisemblablement appelé à se développer… ». Les difficultés des enquêteurs pour contacter des sondés au téléphone en ligne ou en face-à-face, commençaient alors à être mieux connues, malgré les dénégations des sondeurs, le moindre coût des sondages en ligne et la perspective de la généralisation d’internet ont servi d’arguments. Le principal a été certainement l’impression d’inéluctabilité du développement de ce type de sondage. On imagine mal une institution faire de la résistance face à la nécessité [2]

La complaisance de la commission des sondages a sans doute été préparée par une conduite constante de bienveillance à l’égard des contrôlés. S’il y a matière à critique, les défauts méthodologiques des sondages en ligne ne sont peut-être pas l’aspect principal du problème. Nulle part, la commission des sondages ne précise que les sondages en ligne donnent lieu à des rémunérations. Or, si payer les sondés n’est pas sans poser d’autres problèmes de méthode, cela pose surtout un problème politique. Dans des enquêtes de marketing, la rémunération paraît même logique. En va-t-il de même pour des sondages politiques et spécialement pour des sondages électoraux ? [3] On a quelque mal à imaginer des membres du Conseil d’Etat, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation donner une caution d’Etat à la rémunération politique. Comment leur vigilance a-t-elle pu être prise à ce point en défaut ?

A suivre…


[1« ... it is vital that businesses recognise the benefits of capturing and analysing data in order to improve their levels of online customer service », WNIM. What’s New In Marketing, juin 2006.

[2Cf. à ce propos, en guise d’illustration, un faux Huron au Conseil d’Etat.

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